
LA VILLE SANS JUIFS
by Emma Fromont - October 2019
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Utopia, le ‘meilleur des mondes’ est à venir
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« La seule utopie dans ce film, c’est que les habitants regrettent d’avoir mis les Juifs à la porte ».
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La ville d’Utopia est en pleine crise économique, l’inflation fait rage et les Juifs deviennent les boucs émissaires du peuple qui manifeste. Les politiques démagogues votent une loi d’expulsion totale de tous les Juifs de la ville, en partie en échange d’un prêt d’un milliardaire antisémite étatsunien. Mais très vite leur absence se fait sentir, l’économie d’Utopia se porte de plus en plus mal. Grâce à une manigance du fiancé Juif de la fille d‘un politique antisémite influent, la loi finit par être annulée, désormais au grand plaisir du peuple.
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Ce classique autrichien de 1924, dont la séance fut présentée par Laura Koeppel, a été diffusé dans sa version complète au Lycée Bayen. En effet, alors que les copies originales avaient été perdues puis retrouvées incomplètes en 1991 à Amsterdam, une version complète a été redécouverte en 2015. Le film a été magnifiquement restauré par l’agence de cinéma autrichienne : les images et la bande-son sont de très bonne qualité. C’est donc complet que nous découvrons ce film sûrement aussi ambivalent que son réalisateur, Hans Karl Breslauer, qui s’inscrit au parti nazi une quinzaine d’année plus tard. En effet, si ce dernier conclut son œuvre en affirmant que « tous les hommes doivent marcher main dans la main » et que le film documente la vie juive dans toute sa diversité - certains sont riches, d’autres pauvres, certains très orthodoxes et d’autres très intégrés - le seul argument contre la loi d’expulsion est cependant la chute de l’économie utopienne qui reposait exclusivement sur la vie mondaine juive.
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Ce conte cinématographique expose 10 ans avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler la virulence de l’antisémitisme et des idées qui circulent alors dans l’espace germanophone. C’est en fait l’adaptation d’une nouvelle de Hugo Bettauer de 1922 qui se déroule à Vienne. L’auteur est assassiné en 1925 par un adhérent du parti nazi, qui n’est condamné qu’à 18 mois en hôpital psychiatrique pour le meurtre. (Re)voir ce classique de façon rétrospective est effrayant, et fait écho aux dires de la réalisatrice du film d’ouverture, Agnieszka Holland : n’attendons pas la Guerre armée pour avoir conscience du danger.
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