
Elle
Paul Verhoeven
by Yannlmr - September 2017
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Qui pouvait adapter un scénario aussi tordu que celui du roman de Philipe Dijan, « Oh … », sorti en 2012 ? Michèle, bourgeoise cultivée et PDG d’une entreprise de conception de jeux-vidéo orientés trash-sexe, s’est formée par son mérite et son travail et suscite le respect et la crainte. Femme indépendante, divorcée et mère d’un fils majeur, elle est violée par un inconnu introduit chez elle en début du film. A la stupeur du spectateur, Michèle, incarnée admirablement par Isabelle Huppert, range avec résilience la scène du crime, presque désabusée. Ainsi commence deux heures d’un film étonnant et déconcertant, oscillant entre thriller, drame familial et comédie. Le personnage complexe de Michèle, fille d’un psychopathe tueur en série, mère d’un fils dont elle ne s’attache guère, ou en tout cas en apparence- elle est à contre-courant de la figure paradigmatique de la femme au cinéma.
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Par un jeu de subjectivité, le caméra se retrouve spectateur du jeu malsain installé entre le violeur et Michèle, qui s’introduit parfois chez elle ou l’espionne à la fenêtre. Cette atmosphère d’oppression se déploie tout au long du film, faisant croire, à chaque moment où Michèle s’approche d’une fenêtre ou entend la sonnette, une nouvelle effusion de violence.
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La figure féminine de Michèle, pourtant à la merci de son bourreau, est de façon paradoxale une figure dominante dans le film. Le traitement des personnages masculins qui gravitent autour d’elle, que ce soit sur le plan du récit ou de la mise en scène de Verhoeven, les montre comme systématiquement inférieurs à elle. Dans son entreprise, c’est elle qui maitrise l’espace, ses employés, et, chose encore très rare dans le cinéma mainstream, une scène la montre en train de se masturber à sa fenêtre en espionnant son voisin nouvellement arrivé.

La violence et la sensualité du jeu vidéo sur lequel elle travaille fait bien évidemment écho à sa situation personnelle, comme une sorte de refoulé de ce qu’elle a subie. Verhoeven reprend les codes du cinéma français, le casting, la direction d’acteurs font tout de suite penser aux grands noms du cinéma français. La genèse du film est intéressante : les productions américaines étant de moins en moins adepte de film sulfureux et exigeants, l’équipe de Verhoeven a dû tourner en France plutôt qu’a Boston, pour éviter cette nouvelle « censure » du politiquement correct et de la profitabilité à l’américaine. Ainsi, cela donne l’impression de voir un film américain tourné en France, sans pour autant donner une ambiance de pastiche ou de clichés trop évidents.
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Paul Verhoeven, le réalisateur
L’ironie et le cynisme de Verhoeven, qui ont traversé ses œuvres de Total Recall à Robocop, sont très présents pendant le film. Les situations absurdes ou cocasses s’enchainent : le petit fils de Michèle qui est noir alors que son « père », crédule, est blanc, sa mère qui veut se marier avec un gigolo, son ex-mari maladroit… Michèle se retrouve ainsi seule face à son agresseur, les autres protagonistes ne pouvant lui apporter une aide valable, rajoutant ainsi à l’ambiance oppressante du film.
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Le film joue sur une ambigüité troublante, le plaisir du personnage, son jeu avec son agresseur, et la violence de la scène de viol. Ambiguïté qui a été reprochée à Verhoeven comme malsaine et machiste. Critique qu’il convient évidemment d’écarter en constatant le comportement fort et indépendant de Michèle. Ce personnage surprend toujours le spectateur, en ce qu’elle ne suit jamais ce que la « logique » du thriller l’inciterait à faire : le fait de ne pas appeler la police après son viol, d’appeler à son secours son agresseur lors de son accident de voiture, de se réjouir de la mort de son père… en font un protagoniste très original et intriguant.

Film encensé par la critique, il a été élu meilleur film de l’année 2016 par les spectateurs des Cahiers du cinéma. Difficile de remettre en question la maitrise de Verhoeven, qui démontre une nouvelle fois sa polyvalence cinématographique et son originalité dans le traitement de ses personnage.