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FILM REVIEW 

A beautiful day (you were never really there), Lynne Ramsay (2017)

by Quentin Pithois - November 2017

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UN CONSTAT INQUIÉTANT

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Ce mercredi 8 novembre 2017 est sorti dans les salles obscures françaises A beautiful day, You were never really here en version originale. Réalisé par Lynne Ramsay, à qui l’on doit notamment We need to talk about Kevin, ce long-métrage était très attendu par ceux suivant de près ou de loin l’actualité cinématographique. Il a en outre obtenu la palme du meilleur acteur pour Joaquin Phoenix qui campe le rôle principal, et celle du meilleur scénario au festival de Cannes 2017. Au cours des semaines qui ont précédé sa sortie en France, la campagne de communication du film s’est intensifiée dans les médias. Conscients que l’argument des palmes cannoises ne suffirait pas à vendre le film, et comme c’est le cas pour de nombreuses autres œuvres, les publicitaires n’ont pu s’empêcher d’utiliser les rapprochements faits dans les critiques avec Taxi Driver de Martin Scorsese et Drive de Nicolas Winding Refn. A tel point que la mention, honorable bien que douteuse, « Le Taxi Driver du XXIème siècle » apparaisse sur l’affiche en plus gros que le titre lui-même ! Pourtant, ce film est bien plus que cela.

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Joe, incarné par un Joaquin Phoenix époustouflant, est une sorte de mercenaire payé pour effectuer des tâches illégales nécessitant une violence, un sang-froid et une détermination dont rares sont capables de faire preuve. Il est un jour amené à devoir récupérer la fille d’un homme politique affluent, enlevée. Cette mission va s’avérer avoir des conséquences inattendues pour Joe…  Telle est la base du scénario. En apparence assez classique, avec un concept pas nécessairement des plus originaux, l’histoire que raconte Lynne Ramsay se transcende tout au long du film, et dépasse amplement les cadres convenus du genre. La mise en scène, la réalisation et le rôle principal amènent du corps et de la puissance, et ce par bien des aspects, à un scénario parfois faible.

Durant 1 heure 25, on passe devant A Beautiful Day un grand moment de cinéma. Il s’agit là d’une œuvre choc, intense et fascinante. Cette force émotionnelle et cette violence sans concession sont portées par un grand Joaquin Phoenix. Massif, blessé, torturé et déconnecté de la réalité, il livre dans ce film l’une de ses plus belles prestations. Il parvient à faire ressentir au spectateur de la compassion pour ce personnage tourmenté, mais aussi de la crainte envers cet être sans pitié. Doté d’un charisme fou, Joaquin Phoenix constitue l’intérêt majeur du métrage, et en fait son efficacité. On en oublierait presque les rôles secondaires qui, bien que peu nombreux et peu présents, soulignent à merveille les traits de personnalité du protagoniste.  Par leur singularité, ils constituent également une réelle valeur ajoutée pour le film en lui apportant une identité scénaristique propre. Mentions spéciales à Judith Anna Roberts, incarnant la très touchante mère de Joe, et Ekaterina Samsonov, campant Nina, la petite fille enlevée. Cette dernière est envoûtante, déstabilisante à plusieurs reprises, à travers sa gestuelle et surtout son regard. Le talent de cette jeune actrice est incontestable, et il aurait été difficile d’imaginer meilleure performance pour ce rôle.  L’écriture de son personnage doublée de son interprétation réinvente les codes et brise les stéréotypes de la jeune fille pure et impuissante. Elle ne l’est pas. Bien au contraire, elle se montre parfois plus insensible que Joe. La maturité et la déférence qui se dégagent de Nina sont réellement dérangeantes, presque effrayantes, mais rendent ce personnage unique.

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Lynne Ramsay, la réalisatrice

Par ailleurs, la qualité d’interprétation de Joaquin Phoenix est parfaitement mise en valeur par la réalisation et la mise en scène, et en particulier par le cadrage. Toujours très serrés et proches du sujet, les cadres mettent en avant le caractère impressionnant et charismatique de Joe. D’innombrables inserts viennent s’ajouter à ces cadres serrés. Cela donne un aspect viscéral au long-métrage, une insupportable sensation d’être enfermé dans le cadre avec Joe. Cela renforce de plus la crainte qu’il provoque. Cet aspect de la réalisation a un côté très immersif qui nous pousse à ressentir la douleur et la rage de Joe, mais aussi à mieux le comprendre et à s’attacher à lui. Lynne Ramsay a parfaitement compris que le point fort majeur de son film allait être l’écriture de son personnage principal, et qu’il était ainsi primordial de mettre sa réalisation au service de ce dernier. Mais si les cadres exacerbent une violence psychologique, ils suggèrent par moments la violence purement physique plus qu’ils ne la montrent. Ce qui, accompagné d’un montage cut renforçant l’impact des coups portés, témoigne en un sens de l’intelligence et de l’efficacité du film. Nous savons ce qui se passe, nous sommes impressionnés par cette brutalité, sans que le film ne tombe dans la facilité de l’explicite pour transmettre des émotions que je qualifierais de surfaites.

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C’est ce même montage, qui contribue à maintenir un rythme à la fois lent et prenant, tout en l’accélérant dans les moments de tension. Même lors des instants calmes et plus longs, l’esthétique du métrage ravit l’œil grâce à ses décors et ses lumières. Là encore, les lumières alternent, entre le clair, l’obscure et le coloré. Elles possèdent de plus une signification très intéressante quant à la psychologie de Joe, dont je devrais taire le sens pour en préserver l’intérêt. Mais si elles se mettent au service de l’esthétique, elles ont avant tout une raison d’être ainsi et c’est en cela qu’elles sont d’autant plus appréciables. Ajoutée à cela une bande -son psychédélique qui une nouvelle fois rythme à merveille l’œuvre de Lynne Ramsay, et A Beautiful Day obtient une identité propre. Tous les éléments composant ce film s’inscrivent dans une logique, se répondent les uns aux autres en lui insufflant une âme. Ils le rendent terriblement intelligents et efficaces. Ces deux qualités sont parfaitement représentées par les dialogues : peu nombreux mais systématiquement justes.

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J’aimerais, au travers de cette critique jusqu’ici dithyrambique, poser néanmoins un léger bémol. Le scénario, en apparence convenu, se révèle plus profond que ce qu’il en a l’air. Cependant, il est assez regrettable que le film ne dure pas un peu plus longtemps afin d’apporter des réponses à certaines questions très intéressantes et captivantes distillées tout au long du métrage. On pourrait toutefois percevoir cela comme un parti prit scénaristique que de laisser le spectateur apporter ses propres réponses.  En l’occurrence cependant, un tel choix est très contestable, car le film n’a pas nécessairement vocation à faire réfléchir, mais plutôt à faire ressentir. Il n’en demeure pas moins que ce film judicieusement primé à Cannes est une claque émotionnelle et ce par bien des aspects, et qui mérite d’être vu pour être appréhendé dans sa complexité et sa singularité, bien loin de ce que l’aspect commercial de la production du film aura pu essayer de vendre.

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Lorsque nous nous renseignons sur un film, au travers des bandes-annonce ou des critiques, nous sommes de plus en plus confrontés à des rapprochements entre films. Bien souvent, il ne s’agit que du fruit d’une observation hasardeuse et d’un raccourci malhonnête. Pourquoi assistons-nous à tant de comparaisons alors ? La raison est bien simple, et attristante. En assimilant une nouvelle œuvre à un succès connu de tous et appréciée par le plus grand nombre, sa visibilité s’améliore et le nombre d’entrées potentiel du film augmente. Cela permet en définitive de mieux diffuser un film qui ne s’adresserait pas au grand public. Fondamentalement cela apparaît comme étant une bonne chose. Néanmoins le problème est plus complexe. D’une part, cela procure de la déception au spectateur qui s’attend à tort à voir une version actualisée d’un film qu’il affectionne. Si le film trahit sa promesse faite au spectateur, il sera injustement traité de « pâle copie », et ne survivra pas dans les mémoires collectives. Dans le même temps, faire appel à un film que le spectateur n’apprécie pas ne l’incitera pas à aller voir le nouveau film, même s’il est en réalité complètement différent. D’autre part, assimiler un film à un autre c’est porter atteinte à son identité propre et à son statut d’œuvre à part entière : c’est courir le risque que le film n’existe que dans le sillage de celui auquel on l’a injustement associé. A Beautiful Day est le parfait exemple pour illustrer cette problématique de plus en plus récurrente. Il a été vendu auprès du grand public en s’appuyant sur deux choses. Sachant que ce film a pour public cible les adultes, il joue sur la nostalgie de Taxi Driver pour attirer les adultes ayant apprécié le film. De plus, il a été comparé à Drive, succès populaire relativement récent touchant un public plus jeune. Pourtant, A Beautiful Day est bien plus que le résultat d’un mélange de ces deux films : il est un film à part entière avec sa propre âme, ses propres qualités et ses rares défauts. Réduire un tel film à la comparaison revient purement et simplement à renier son intérêt. Il faut cependant se garder d’être malhonnête et de renier toutes les similitudes. Elles sont rares, mais le rapprochement n’est pas incompréhensible. Il demeure néanmoins inutile. Enfin, ce système rend le film qui en bénéficie très présomptueux. A Beautiful Day aurait pu être un échec et ne pas avoir le niveau de Taxi Driver, ce qui aurait rendu le film d’autant plus détestable. De plus, La réputation d’un film tel que Taxi Driver s’est faite dans la durée, c’est parce que sa qualité a traversé les décennies que Taxi Driver est aujourd’hui Taxi Driver. Même si le nouveau long métrage de Lynne Ramsay est d’excellente facture, il n’atteindra le prestige de sa « fausse référence » qu’après avoir survécu à la mémoire collective. La comparaison est ainsi complètement erronée, car même si les deux œuvres avaient été très similaires, l’une a le prestige que n’a pas l’autre. Vous l’aurez compris, les références sont trompeuses et non pertinentes. Pourtant, elles sont nécessaires. Elles permettent de vendre un film, qui, sans la comparaison, n’aurait pas nécessairement suscité l’intérêt du public. Ces films, un peu différents, faisant appel à d’autres formules, nécessitent un regard critique que tout le monde n’a malheureusement pas. Ils sont ainsi à tort classés à tout va dans la catégorie « film d’auteur », qui a une connotation péjorative pour le grand public, qu’il fuit donc. Pour permettre à des œuvres incroyables telles que celle présentée ici d’exister véritablement et démontrer au plus grand nombre sa qualité et son identité, ce système est devenu nécessaire. Autrement, leur production et leur diffusion diminueront inéluctablement. La situation dans laquelle semblent se trouver les films ne s’adressant pas à la majorité mène à un constat inquiétant.

Unframed.

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